samedi 23 mars 2013

PLUS GRAND QUE LA PEUR

       Mère Thérèsa disait que le plus grand obstacle dans la vie était la peur; elle seule était capable de nous freiner dans nos élans, voire même de nous empêcher d’avancer. Le pessimisme, la rationalisation de tout conduit souvent à émettre l’hypothèse que nos projets ou nos désirs les plus chers ne sont pas réalistes, donc pas réalisables.

Pourtant quand on interroge un artiste on réalise que ce qui le différencie du commun des mortels, c’est la foi qu’il met dans son œuvre. La transe du musicien plongé dans sa rythmique, les mains de l’artisan qui rendent la légèreté au chêne massif, l’instinct du danseur dont le corps embrasse la musique, me poussent à croire qu’ils ont dû, à un moment de leur vie, combattre leur peur de l’échec pour en sortir vainqueurs. Ils savaient avant tout le monde que c’était leur voie; que personne n’y croirait pour eux.

Pour certains, c’est arrivé au plus jeune âge. Ils ont rencontré l’art très tôt, écoutant leur petite voix intérieure qui leur disait d’aller répandre leur vision du monde, leur vibration personnelle, basée sur le plaisir. Le plaisir de créer pour eux, le plaisir de ressentir pour les autres.

Qui n’a pas voulu se damner pour une saveur amoureusement préparée par un magnat de la gastronomie? Qui n’a pas voulu arrêter le temps sur une mélodie qui a ce don de tout faire disparaître autour de soi?

Lorsque mon esprit s’engloutit dans l’Alchimiste, je découvre une manière tellement unique d’appréhender la vie que mon inconscient en garde une empreinte indélébile. Impossible de sortir indemne d’une telle œuvre, sa justesse en est déroutante. Inévitablement, j’en ressors transformée. Quand j’arrive à ressentir la chaleur, puis les grains de sable gravillonnant sous les pieds des Touaregs, le cliché de McCurry me transporte au fin fond des dunes de Mauritanie. Et je me mets à voyager. Pourtant, c’est immobile. Mais lui ne se dissimule pas derrière son objectif. Il est devenu l’extension de son œil, aussi précis que l’instant saisi. Il donne de la perspective sur un support en deux dimensions, du mouvement sur une image fixe, du relief sur un papier lisse. Et l’admirateur décolle.

Quand mon regard ne peut se détourner de la toile qu’un ami m’a offerte, que mes lèvres sont scellées devant ce fusain poète qui suit les courbes d’un nu dont on ressent le frissonnement, je découvre la beauté à travers les yeux d’une personne qui se dévoile au fil du trait. Comme une porte entrebâillée sur son âme, il me laisse entrevoir sa réalité. Sa réalité émotionnelle. Il n’est plus question de plonger mes yeux dans son regard, mais de regarder à travers les siens.

       Alors je me demande si cette petite fissure sur l’intime émotion, cette faille délicatement visible aux yeux de tous n’est pas la clé de la serrure qui enfermerait la peur pour de bon. Ils ont pris le risque de laisser entrer les autres, tous les autres sans les sélectionner, dans la plus sincère partie de leur être. Ils ont dévoilé leur essence même, sans tricher. C’est peut-être ça, elle est peut-être là, la clé.

jeudi 7 mars 2013

BETON FATAL


          Mon premier se lève autour de 16H du mat - Mon second est fan de Diam’s - Mon dernier kiffe les meufs de sa téci, surtout quand elles baissent les yeux… T’as trouvé t’as vu? Ben c’est le Wesh t’as vu…
Animal urbain par excellence, le Wesh se retrouve complètement largué dès qu’il évolue dans moins de 2km² de bitume. Si vous lui parlez de pelouse, il pensera épilation du maillot; si vous lui parlez d’herbe, il vous en vendra…

         Comme le rat des villes, il vagabonde aux heures sombres entre les tours de son quartier, chancelant à moitié sous les décombres d’une pile de survêtements XXL anarchiquement superposés: le caleçon au-dessus du pantalon, les chaussettes aussi… Dit comme ça, on ne comprend pas bien l’utilité mais il s’agirait d’une astuce pour exposer les logos de ses marques favorites, parmi lesquelles le célèbre croco de Lacoste, qui lorsqu’il est contrefait ressemble davantage à un triton qu’à un caïman, mais bon les goûts, les couleurs… A cela il ajoute 3 mètres carrés de capuche, équipement essentiel en cas de descente de keufs, ou de drague de meufs quand ça finit mal.

         D’un mur à l’autre il déploie sa démarche dégingandée de grand spécialiste du glandage: comme si ses bras étaient devenus trop longs pour être balancés naturellement, il les garde rigides et droits pendant qu’il laisse ses jambes désarticulées lui faire onduler le bassin. En somme le wesh roule du boule, mais chut le Wesh est trop vénère, c’est un grand susceptible. Planqué derrière une intention partagée entre l’affront et la crainte de croiser plus fort que lui, il tente d’impressionner en élevant ses pupilles juste au-dessous de ses sourcils… chez le commun des mortels l’attitude juvénile ici décrite frôle le ridicule, mais le jeune Wesh Bien fait un peu ce qu’il peut pour combler le vide insondable qui subsiste dans son regard. On dit parfois que ce dernier est le reflet de l’âme; dans son cas à lui, c’est un peu le miroir du néant, la fameuse preuve que l’antimatière récemment découverte par les astrophysiciens existe bien.

En grand poète des temps modernes, le Wesh s’invente toujours un blaze qui déchire sa race , pour rejoindre le tableau des grands noms du quartier qui sont sortis de la MJC en sachant écrire du slam. Ah les keums de sa bande: il les kiffe grave, c’est pas des bouffons. Oui le Wesh vit en meute, ça le rassure. Très territorial, la seule différence avec l’animal est qu’il ne pisse pas encore sur tous les trottoirs du quartier pour en délimiter le périmètre, quoique… Son instinct de propriété est particulièrement développé: pour preuve il monte la garde de chaque hall d’immeuble avec beaucoup de zèle, prêt à mordre le premier passant qui oserait le frôler de trop prêt.
Le Wesh n’est pas méchant tant qu’il est isolé; en revanche un cheptel de wesh est bien plus compliqué à gérer. Comme le gnou pendant ses grandes migrations dans les plaines africaines, un déplacement de troupeau de Wesh peut être dangereux, même pour les individus qui le composent: ça se piétine, ça se marche dessus, ça se pousse, et c’est même capable de retourner un tir de grenaille contre son propre camp…l’effet de la panique sans doute, mais rappelons qu’ici les seuls alligators à leur poursuite sont cousus sur les polos du clan adverse! Pas toujours facile la réflexion collective quand le nombre de connexions cérébrales se comptent sur les doigts d’une main.

Son hobby à notre petit bandit c’est la provoc: l’attaque en bande, de préférence par derrière, d’une personne seule et bonus supplémentaire si elle est sexagénaire! Le courage c’est pour les autres; lui il veut tout, tout de suite et sans efforts; de toutes façons il en a “rin à fout” de maraver la mère-grand tant qu’y a un truc à tégra dans son cabas. Quand il ne se défoule pas sur le 3ème âge, notre ami est pris d’assaut par ses hormones et se met à assommer les filles du patio à grands coups de “z’y va cousine, fais pas ta chienne, envoie ton 06″, se traduisant en langue commune par “mademoiselle permettez-moi de vous saluer, je vous trouve particulièrement séduisante”… Un peu comme le vol, la drague s’exécute à la tir : je t’arrache un regard de force, je t’ordonne de me dire bonjour, et remercie moi de te trouver à mon goût…

      Il faut dire que le pauvre petit fripon s’est un peu élevé tout seul dans le labyrinthe bétonné de son fief entre les caves, les cages d’ascenseurs et les toits des bâtiments. Embarqué dès son plus jeune âge pour assurer la chouffe afin d’aider les plus grands dans leurs trafics illicites, le chenapan s’est rapidement pris pour un gangster. En réalité chacun sait qu’en rentrant au bercail, il baisse encore les yeux devant la fureur de sa mère, la dernière guerrière respectable à ses yeux d’enfant révolté.