lundi 9 septembre 2013

Macaronis

Ils sont noirs et ils sont longs. Ils remontent en dédales soignés le long de sa nuque et terminent leur course sinueuse sous une broche qu'elle attache chaque matin depuis 80 ans.
Un siècle et demi de minutie, mains relevées au-dessus des oreilles, à entrelacer la jungle d'une chevelure indemne malgré les années. On la repère  à ce chignon sculptural qui témoigne de sa présence sur certains clichés de l'album de famille.

Elle vient de loin, mais pas en kilomètres. Elle vient du haut de la botte vers la Méditerranée, du fond des âges pour sa mentalité; elle vient d'ailleurs, de chez les mitrailleurs pour ceux qui la voient débarquer. Son nom c'est Migliorini. Elle vient de fuir le régime de Mussolini. Pour les villageois du coin ce sera "Macaroni".

Bien qu'éduquée dans la culpabilité du christianisme, elle brave l'autorité familiale et l'honneur local en s'éprenant d'un homme de 10 ans son aîné. Elle a 16 ans et elle est déterminée. C'est une guerrière du cœur, une future Mamma comme ils disent là-bas. Elle construit sa propre famille au nom du seul amour, défiant qui que ce soit- même le despote- d'y porter atteinte un jour. Cette fougue inébranlable la poussera dehors, au-delà des frontières du seul langage qu'elle maîtrisait alors. La quête d'un avenir admissible la conduira en terre bourguignonne.

Mon premier souvenir d'elle remonte à ma petite enfance, quand j'entendais mes tantes annoncer son arrivée. Chaque année et pendant 6 mois, elle abandonnait ses montagnes de Toscane pour regagner la France où ses nombreux descendants l'attendaient avec impatience.
Dès que j'entendais rouler les "r" et les cascades de rires qui dévalaient les murs, dès que j'apercevais cette silhouette immense toujours élégante, je m'enivrais d'avance des effluves exotiques que j'allais respirer.
Ses récits exhalaient les senteurs de l'ailleurs. Soudainement je n'étais plus seulement française; soudainement elle parlait un étranger qui m'était familier. Sans le savoir, elle incendiait la flamme qui me ferait brûler: brûler de vie, brûler d'envies, brûler d'envie de voyager.

Elle m'ouvrit les yeux et élargit mon esprit, forgea le socle de mes valeurs et m'insuffla le secret du bonheur. 

Je l'appelais la Nonna, elle s'appelait Natalina. C'était mon arrière grand-mère, la plus grande de toutes les guerrières.